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dimanche 5 juillet 2015

Temps passé et présent...


J'infuse  un thé vert mao feng, léger et doux (un peu sucré), sur de discrètes notes végétales avec une fraîcheur d'herbes aromatiques qui semble parfois presque florale (m'évoque la Provence... lavande ? peut-être, mais en une version très subtile).

Je regarde les feuilles s'ouvrir et s'épanouir, sembler revenir à la vie, comme si elles étaient encore fraîches sur leur branche. Avec elles, je remonte le temps...

  Yan Ch'iu demanda à maître Kong : "Est-il possible de savoir quelque chose à propos du temps avant que le ciel et la terre n'existent ?"
  Maître Kong répondit : "Bien sûr. Le passé infuse au sein même du présent."
 (Chuang Tzu, Tao : l'accord au monde, éd. Moundarren)


Bon dimanche et bonnes dégustations à tous !

dimanche 14 juin 2015

"Brouillard sur le Pavillon Haut"

Dimanche, 4h du mat'. Insomnie. Je fais bouillir de l'eau, saisi un livre. Tiens, pourquoi pas ce recueil de poèmes d'inspiration chinoise que je viens de recevoir ? Je choisis ce thé jaune que j'aime tant, Huo Shan Huang Ya. J'en garnis généreusement la théière noire en terre crue qui contraste avec la tasse de porcelaine blanche déposée juste à son côté. Yin et Yang... L'eau est chaude. J'arrose délicatement les feuilles. En quelques brefs instants la liqueur est versée dans la tasse. Je m'installe.

"L'épaisseur de bruits ordinaires" forme un silence rassurant. Déjà les mots résonnent en moi...

Je ne dormais ni ne veillais,
suspendu le moi qui songe
à autre chose que soi-même,
et ne se rappelle plus quoi.

Temps suspendu de la poésie, le temps vivant et calme du thé. Dans les voiles légers de la nuit , je vois le temps. Passé, présent, à venir. Je vois tous les temps dans cet instant...

Je voyais la ronde
des poussières sous mes doigts,
pensais :
"Si tu sais regarder
à l'intérieur,
c'est tout le paysage
qui s'élargit
aux quatre coins des perspectives.
Le passé est là tout entier
qui se dépose autour de toi,
chaque particule,
l'éclat d'une vie qui
passa la frontière invisible
en un lointain jadis.
Le monde est en train de passer en toi.

Echos. Le thé s’écoule en moi. Les pages entre mes doigts. Evocation de l'arbre, de la vie... de ce qui nous relie dans l'éternité et dans l'éphémère. Impermanence. Transformation.

quand l'arbre s'introduisait dans la chambre,
poussant ses branches jusqu'à nous toucher,
et que j'ouvrais le livre

Ces feuilles de thé, hier arbre, sont aujourd'hui liqueur qui abreuve mon corps et mon cœur. Ces feuilles de papier entre mes mains, hier arbre, sont aujourd'hui des pages qui portent ces mots, instantanés de vie et paysages révélés. Intériorité et monde extérieur unis.


Des paroles fracassantes

traceraient sur les pages

la pureté des leurs signes,

se formeraient des paysages,

ondoiements

intacts et anciens.

Une bulle de silence heureux

alors
 s’évaderait par la fenêtre.




La fenêtre est ouverte. Le silence est feutré. Je feuillette ce livre "quand, entre les lignes, ces voix..." Ces voies venues de Chine. Celle des peintures de style chinois, signées de l'auteur, qui illustrent cet ouvrage. Celle des sinogrammes qui en ponctuent les pages. Celle de la poésie des lettrés dont ces poèmes sont imprégnés. Celle de la calligraphie dont en voici l'esprit :

Du pavillon où nous arrivions,
il ne restait plus,
à pinceau levé,
qu'un seul trait,
ébauché
comme on fait un signe.

Des voix venues de Chine, des voies qui n'en font qu'une. Unies en un trait de pinceaux. Cette voie, la Voie, sagesse fondatrice de la pensée chinoise. C'est en suivant cette voie que nous pénétrons enfin dans le pavillon chinois.

Les tasses de thé se suivent et ne se ressemblent pas. Les pages se tournent dans des songes d'ailleurs. Le thé et les mots réunis me transportent. Cette poésie m'accompagne jusqu'au petit matin. Les premières lueurs du jour me découvrent rêveuse dans les brouillards de Chine. Ce brouillard qui couvrent les jardins de thé des hautes montagnes. Ce poétique Brouillard sur le Pavillon Haut.

[...] les brouillards, les murmures
qui hantent là-haut,
tout en haut sur les sommets,
ledit Pavillon Haut.

 ~ * ~

Brouillard sur le pavillon haut  de
Hispaniste, auteur de deux romans (Mélancolie au Sud, 2004, et Esplanade Avenue, 2010), Annick Le Scoëzec Masson a d'abord publié Suite indienne (2001), poèmes où se mêlent évocations du Nord de l'Inde et scènes librement inspirées de miniatures mogholes.

Dans Brouillard sur le Pavillon Haut, la référence à la poésie et à la peinture de la Chine classique alterne avec les instantanés d'un séjour à Shanghaï et à Pékin à l'aube du XXIe siècle.

C'est grâce à l'opération Masse critique que j'ai reçu ce livre. Merci  à la maison d'édition et à Babelio pour cette charmante découverte. Je suis ravie. Un seul regret, les peintures ne sont vraiment pas mises en valeur.


lundi 25 mai 2015

Eloge du compte-rendu de dégustation

     Un compte-rendu de dégustation n'est qu'un rendu appauvri de l'expérience. Pourquoi ? Parce que les mots ne joignent pas la réalité, ils n'épuisent pas les sensations ressenties et leur enchevêtrement. Pourquoi continuer alors à rendre compte ? Pourquoi ne pas se contenter de déguster ?


     Parce que rendre compte facilite le compte-rendu. 
    C'est en s'exerçant qu'on risque de réussir l'exercice, pas en renonçant d'emblée. Rendre compte permet d'espérer s'améliorer et faire que les mots rejoignent au mieux la réalité. Je l'ai déjà exprimé sur ce blog, peut-être ne faudrait-il pas se contenter des mots, peut-être faudrait-il des notations pour l'intensité, la longueur, la variation (crescendo, decrescendo), la simultanéité. Le langage peut donner toutes ces notions, mais au moyen de phrases complexes qui rendent mal la fugacité, l'imprécision, le bouillonnement parfois (j'allais écrire le brouillonement), des sensations. La précision et la complexité de la phrase l'éloignent d'une partie du vécu (rapidité, fugacité) en voulant au contraire être plus proche que quelques mots jetés sur le papier. En effet, quelques mots, vite lus, vont redonner l'idée de la rapidité au lecteur mais feront confondre des sensations éloignées. Deux thés peuvent avoir un goût de litchi, et je peux donc écrire « litchi » simplement sur mon carnet. Mais ces deux thés n'avaient pas la même manière d'évoquer le litchi. Pas le même litchi, pas au même moment dans la portée des goûts, pas avec la même intensité. Bref, le simple mot litchi recouvrirait deux réalités différentes et donc ne rendrait pas compte de la réalité (c'est-à-dire qu'il en rendrait compte trop partiellement). Chacun peut vérifier cela aisément en découvrant dans un carnet de notes des mots similaires pour des thés finalement différents. De même, deux mélodies utilisent les mêmes notes, mais en les agençant différemment, sonnent très différemment. Si l'on veut le mener au mieux, le compte rendu de dégustation est donc un exercice de langage, une recherche de maîtrise de la langue (et de la communication vers autrui). Finalement, c'est toujours ce qui est recherché dans la maîtrise de la langue, la meilleure communication, le meilleur partage, le plus précis partage.


    Et cet exercice, il est bon pour soi. S'efforcer de s'exprimer au mieux, chercher à faire joindre les mots et la réalité obligent à vouloir être au plus près de la réalité. Se concentrer sur les sensations du nez, de la bouche, de la gorge, de la langue pour les ressentir le mieux possible. Il y a une focalisation de nos sens animaux pour les goûts et arômes du breuvage. On « touche » la réalité c'est-à-dire qu'on la ressent le plus et le mieux possible. Ceci pour s'en souvenir au mieux et donc pouvoir la restituer. En fait, il n'y a pas d'un côté les sens animaux et de l'autre la restitution intellectuelle et langagière. Le langage permet de mieux exercer mes sens. La maîtrise du langage ajuste les sens. Je goûte d'autant mieux le litchi que j'ai le mot litchi pour l'exprimer. Sans ce mot, je goûte quelque chose de sucré, doucereux, fruité. Avec ce mot, je goûte le litchi, je me remémore mieux la sensation et suis plus à même de la ressentir une autre fois. Avec ce mot, je critique mes propres sens (je les dirige, je les aiguise) : litchi ou raisin ? A quel degré de maturité ? Etc.


     Le compte-rendu, exercice intellectuel, repose sur l'exercice des sens, il n'y a pas d'opposition corps/esprit, mais complémentarité. Pour moi, ce n'est pas un exercice qui éloigne d'une certaine philosophie du thé (quoique cette expression rencontrée ici ou là veuille bien dire), mais un exercice qui porte à la méditation par le thé. C'est par ce cheminement que j'arrive à m'intéresser au taoïsme. Sans doute y a-t-il une orientation du compte-rendu qui le pousse vers la philosophie ou qui le laisse à l'analyse gustative. Mais c'est une voie possible (c'est ma voie, si jamais j'ai une voie du thé). 


    Le compte-rendu de dégustation ne m'éloigne donc pas du thé. Au contraire, il est un exercice qui m'oblige à être pleinement dans l'instant de boire.


Patrick

De la gastronomie à la méditation, avec François Cheng

    L'admiration, chez moi, n'est pas un processus très fréquent. Comme Cioran, il faudrait que je me prête à des exercices d'admiration. Pourtant, il existe bien un homme que j'admire et dont je suis les écrits depuis plusieurs années, depuis ma lecture de son grand roman Le Dit de Tianyi, réellement bouleversant, qui m'a ouvert sur un nouveau monde et une nouvelle esthétique. Cet homme, c'est François Cheng, académicien Français d'origine chinoise, homme de double culture mais surtout passeur de culture. Il a traduit et transmis l'esthétique chinoise, qu'elle s'exprime en poésie ou en peinture, avec une très grande sensibilité.

    Il a une attention aux choses et aux gens qui se sent même par le biais du livre ou de la radio. Il exprime au monde sa gratitude d'exister, ce qui façonne cette attention profonde et une humilité sincère. Voilà quelqu'un qui nous fait grandir, qui nous fait nous élever à l'entendre ou à le lire.

    Avant de réellement découvrir la peinture et la poésie chinoises, c'est par le thé que je me suis ouvert à l'esthétique de ce pays. C'est par le thé que je crois ressentir les préceptes du taoïsme. Préceptes dont François Cheng explique comment ils irriguent la pensée et l'art chinois. Je rêve d'une conversation autour d'un thé avec ce grand auteur.

    Son dernier livre, qui vient de paraître, est un recueil d'entretiens avec Françoise Siri, d'abord retransmis sur France Culture cet automne. Dans un des cinq entretiens, il raconte comment la découverte de la patisserie occidentale fut une première porte vers cet ailleurs qu'était alors pour lui l'Occident. Il faut lire avec quelle délicatesse il rend compte d'une expérience simple, celle de manger un macaron. Et ce n'est plus une simple dégustation de macaron, c'est une attention au monde, comme une méditation pour reprendre l'exclamation de Françoise Siri :


Entretiens avec Françoise Siri, p.88 sq

"F.Cheng : Comme son nom l'indique, ce macaron [Ispahan] est au parfum de rose, tandis que la couche intermédiaire qui sépare les deux parties est faite d'essence de litchi. Dans ce macaron, comme dans d'autres, il y a une telle combinaison subtile et complexe, que, pour le déguster, on se doit de se mettre dans un état de concentration, voire de recueillement.

F.Siri : Comme dans les méditations !

F.C. : Je vais essayer de décrire un tout petit peu cela. Quand on mange un macaron de Pierre Hermé, toutes les facultés sensorielles sont sollicitées. D'abord, cette teinte de pastel si invitante, cette rondeur si conforme à la bouche... Une fois entre les dents, cette sensation tactile du croquant qui se fond dans le moelleux. Puis se répandent dans la bouche une succession de saveurs et de fragrances qui s'entraînent les unes les autres, se répondent les unes les autres, s'interpénètrent en un tout à la fois caressant et vivace, sans que jamais le sucré ne vienne le gâter. Puis ce tout se déplace vers l'arrière du palais, se transmuant en un arrière-goût où, pendant un instant, les premières saveurs et fragrances semblent revenir, mais cette fois-ci quintessenciées en une sorte de résonance infinie."

    C'est cette attention, cet « état de concentration », qui pousse au « recueillement », à la sérénité, voire à la méditation. On est bien et pleinement au monde à ce moment là. Et le thé est un moyen d'atteindre cet état, un moyen qui serait également sa propre fin. 

    Tenter de rendre compte le plus sincèrement possible d'une dégustation de thé n'est donc pas une analyse froide, strictement intellectuelle, un exercice à vide, ou pire un exercice égotiste d'admiration de soi-même et de ses propres capacités. Déguster un thé, c'est plus que le boire, c'est être là, pleinement, dans l'instant simple mais concentré de l'action. 


    Déguster, analyser un thé, c'est rendre hommage à la beauté du monde.


Macarons d'Amour de chez David et
Dong Ding Deep Fired Deep Fermented de chez Hojo Tea



Patrick

lundi 9 mars 2015

Episode 5 : Le thé et la pensée philosophique.

   L'épiphanie de la Maison des Trois Thés fut l'occasion de découvrir deux instruments  le gaiwan, la tasse à couvercle, et la petite théière, pour une même méthode : le gong fu cha. L'art du thé ou la maitrise du thé nécessitait d'apprendre de nouveaux gestes pour infuser le breuvage et aussi ouvrait à toute une philosophie sous-jacente, à la pensée chinoise.

   Le gong fu cha est un moyen d'obtenir un thé excellent mais aussi un moyen de méditation. L'excellence du thé appelle à se rappeller le travail qu'il a nécessité. La précision du geste appelle à se concentrer sur l'ici maintenant, à être en pleine conscience. Etre pleinement là et être relié au monde. Se lier aux philosophies anciennes : taoisme, confucianisme, bouddhisme. Et donc, commencer à chercher à les comprendre.

Patrick

jeudi 8 novembre 2012

"Le Tao de Pooh" de Benjamin Hoff

Winnie the Pooh, c'est le célèbre Winnie l'Ourson, cet adorable petit ours qui vagabonde ici et là en posant des questions idiotes et traverse toutes sortes d'aventures sans jamais perdre ce bonheur naïf qui est le sien.
C'est donc en compagnie de Winnie, avec ses amis de toujours, Bourriquet qui se tourmente, Porcinet qui hésite, Coco Lapin qui calcule et Maître Hibou qui pontifie, que le lecteur trouve son chemin à travers les principes du taoïsme. Car les sages sont des Enfants-Qui-Savent. Qui savent quoi ? Lisez ce livre et vous le saurez. Et peut-être votre vie en sera-t-elle changée.


En chacun de nous sommeillent un Maître Hibou, un Coco Lapin, un Bourriquet, et un Pooh. Si nous étions malins, nous choisirions la Voie de Pooh. Comme venant de loin, elle nous interpelle, réveillant en nous l'esprit de l'enfant. Elle est peut-être parfois difficile à entendre, mais elle est importante, parce que sans elle nous ne parviendrions jamais à trouver notre chemin à travers la Forêt.

 

Cet étonnant petit livre nous délivre les secrets d'un bonheur simple, celui de Winnie the Pooh (Winnie l'ouson, en France) qui, sans le savoir, applique, et même incarne ici, les principes du taoïsme. Illustré d'exemples clairs et compréhensibles par tout un chacun, grâce aux interventions du candide et toujours joyeux petit ourson qui pose des questions apparemment idiotes à l'auteur, cet ouvrage nous propose une voie toute en simplicité pour découvrir les principes du taoïsme.


Les dialogues entre Pooh et l'auteur sont drôles, légers... savoureux comme du bon miel ! Je vous défie de ne pas sourire en les parcourant. D'ailleurs, voici comment commence l'avant-propos :

"Qu'est-ce que tu es en train d'écrire ?" demanda Pooh, grimpant sur ma table de travail. "Le Tao de Pooh", répondis-je. "Le comment de Pooh ?" s'exclama-t-il, faisant une trace sur un des mots que je venais d'écrire. "Le Tao de Pooh", répétai-je en repoussant sa patte avec mon stylo. "Cela ressemble plus au Oh ! de Pooh", dit Pooh, frictionnant sa patte. "Eh bien, ça ne l'est pas", répondis-je avec humeur. "Et de quoi est-ce que cela parle ?" demanda Pooh en se penchant en avant et en faisant à nouveau une traînée sur un autre mot. "Cela parle de comment rester serein et garder son calme en toute circonstance !" hurlai-je. "L'as-tu lu ?" demanda Pooh.

Décidément, cet ourson est plein de sagesse...

Il a déjà compris, mais sans jamais le formuler ou l'analyser, la clé de la sagesse taoïste. Pooh ne calcule pas, n'hésite pas, ne se tourmente pas... Bref, il ne se prend pas la tête, il EST tout simplement, tout naturellement, intuitivement. 

Pooh est incapable de nous expliquer ce qu'est le Bloc de Bois Brut avec des mots, simplement parce qu'il est cela. Telle est la nature du Bloc de Bois Brut.

Voici également un extrait pour vous aider à comprendre d'où vient cette expression de Bloc de Bois Brut, "P'o" - quelle coïncidence! - en chinois :
Ainsi, à partir des termes "arbre croissant en fourré" ou "bois non coupé", on a forgé le sens de "choses dans leur état naturel" - c'est ce que signifie, dans les versions occidentales des textes taoïstes, la traduction "Bloc de Bois Brut".

Vous l'aurez compris, en compagnie de Pooh, le taoïsme c'est enfantin ! Mais attention, l'auteur s'adresse bien à un public adulte (également tout à fait à la portée d'un adolescent).

Un excellent petit livre pour aborder, en toute simplicité et avec facilité, les notions essentielles du taoïsme. Je vous le conseille chaleureusement.

Une ancienne maxime taoïste dit : "Un voyage de mille lieues commence par un seul pas", ce modeste livre constitue un joyeux premier pas pour qui veut bien suivre la Voie de Pooh !