L'admiration,
chez moi, n'est pas un processus très fréquent. Comme Cioran, il
faudrait que je me prête à des exercices d'admiration.
Pourtant, il existe bien un homme que j'admire et dont je suis les
écrits depuis plusieurs années, depuis ma lecture de son grand
roman Le Dit de Tianyi, réellement bouleversant, qui m'a
ouvert sur un nouveau monde et une nouvelle esthétique. Cet
homme, c'est François Cheng, académicien Français d'origine
chinoise, homme de double culture mais surtout passeur de
culture. Il a traduit et transmis l'esthétique chinoise, qu'elle
s'exprime en poésie ou en peinture, avec une très grande
sensibilité.
Il a
une attention aux choses et aux gens qui se sent même par le biais
du livre ou de la radio. Il exprime au monde sa gratitude d'exister,
ce qui façonne cette attention profonde et une humilité sincère.
Voilà quelqu'un qui nous fait grandir, qui nous fait nous élever à
l'entendre ou à le lire.
Avant
de réellement découvrir la peinture et la poésie chinoises, c'est
par le thé que je me suis ouvert à l'esthétique de ce pays. C'est
par le thé que je crois ressentir les préceptes du taoïsme.
Préceptes dont François Cheng explique comment ils irriguent la
pensée et l'art chinois. Je rêve d'une conversation autour d'un thé
avec ce grand auteur.
Son
dernier livre, qui vient de paraître, est un recueil d'entretiens
avec Françoise Siri, d'abord retransmis sur France Culture cet
automne. Dans un des cinq entretiens, il raconte comment la
découverte de la patisserie occidentale fut une première porte vers
cet ailleurs qu'était alors pour lui l'Occident. Il faut lire avec
quelle délicatesse il rend compte d'une expérience simple,
celle de manger un macaron. Et ce n'est plus une simple dégustation
de macaron, c'est une attention au monde, comme une méditation pour
reprendre l'exclamation de Françoise Siri :
Entretiens
avec Françoise Siri, p.88 sq
"F.Cheng : Comme son nom l'indique, ce macaron [Ispahan] est au parfum de rose, tandis que la couche intermédiaire qui sépare les deux parties est faite d'essence de litchi. Dans ce macaron, comme dans d'autres, il y a une telle combinaison subtile et complexe, que, pour le déguster, on se doit de se mettre dans un état de concentration, voire de recueillement.F.Siri : Comme dans les méditations !F.C. : Je vais essayer de décrire un tout petit peu cela. Quand on mange un macaron de Pierre Hermé, toutes les facultés sensorielles sont sollicitées. D'abord, cette teinte de pastel si invitante, cette rondeur si conforme à la bouche... Une fois entre les dents, cette sensation tactile du croquant qui se fond dans le moelleux. Puis se répandent dans la bouche une succession de saveurs et de fragrances qui s'entraînent les unes les autres, se répondent les unes les autres, s'interpénètrent en un tout à la fois caressant et vivace, sans que jamais le sucré ne vienne le gâter. Puis ce tout se déplace vers l'arrière du palais, se transmuant en un arrière-goût où, pendant un instant, les premières saveurs et fragrances semblent revenir, mais cette fois-ci quintessenciées en une sorte de résonance infinie."
C'est cette attention, cet « état de concentration »,
qui pousse au « recueillement », à la sérénité,
voire à la méditation. On est bien et pleinement au monde à ce
moment là. Et le thé est un moyen d'atteindre cet état, un moyen
qui serait également sa propre fin.
Tenter de rendre compte le plus sincèrement possible d'une
dégustation de thé n'est donc pas une analyse froide, strictement
intellectuelle, un exercice à vide, ou pire un exercice égotiste
d'admiration de soi-même et de ses propres capacités. Déguster un
thé, c'est plus que le boire, c'est être là, pleinement, dans
l'instant simple mais concentré de l'action.
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